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Le dysfonctionnement dopaminergique est un aspect fondamental de la schizophrénie. À présent, grâce aux avancées permises par les recherches de neuro-imagerie, les cliniciens et les scientifiques peuvent étudier de près les modifications et les anomalies cruciales survenant dans cette maladie, qui pourraient apporter les clefs d’une prise en charge améliorée des patients. Dans cet article de fond, nous présentons et synthétisons l’intervention donnée par le Professeur Anissa Abi-Dargham (New York, États-Unis) sur ce thème très débattu lors de la séance plénière inaugurale du Congrès CINP 2016.
La neuro-imagerie offre un outil puissant pour examiner en détail et potentiellement pour expliquer les processus fonctionnels et neurochimiques en jeu dans la schizophrénie. Des décennies de recherches ont identifié la dopamine comme un élément clef dans le processus pathologique, et à présent la neuro-imagerie semble prête à nous apporter de nouvelles perspectives des plus nécessaires pour alimenter les recherches ultérieures et, peut-être, modifier la prise en charge des patients.
En quoi les résultats de la neuro-imagerie sont-ils si éclairants ? Selon le Professeur Anissa Abi-Dargham, récemment nommée Professeur de psychiatrie et Vice-présidente de la recherche dans le Service de psychiatrie de l’Université Stony Brook de New York (États-Unis), la neuro-imagerie est capable de mettre en lumière les multiples facettes du dysfonctionnement dopaminergique en jeu dans la schizophrénie au fil des différentes étapes d’émergence, d’installation et d’évolution de cette entité clinique.
Le Professeur Abi-Dargham a présenté une synthèse exhaustive des décennies de recherche fondées sur l’idée que le dysfonctionnement dopaminergique serait une conséquence de nombreuses autres altérations du cerveau. Les voies et processus dopaminergiques sont réputés impliqués dans la schizophrénie depuis qu’il a été montré que la chlorpromazine, un antagoniste dopaminergique, exerce une activité antipsychotique.
Le Professeur Abi-Dargham a incité l’auditoire à tenir compte des preuves qui montrent que - au-delà de taux excessifs de dopamine au niveau synaptique dans le striatum et d’une stimulation excessive des récepteurs D2 - la schizophrénie semble impliquer de profonds déficits en dopamine dans le cortex ainsi que dans d’autres régions extrastriatales.
Il semblerait que tout ne se résume pas dans cette maladie à une hyperactivité de la transmission médiée par les récepteurs D2 dans le système limbique.1
Le Professeur a également rappelé aux participants que de nombreux processus excitateurs et inhibiteurs au sein des circuits corticaux sont étroitement modulés par la dopamine. En outre, des aspects clefs du fonctionnement dopaminergique dans ces régions sont la résultante d’événements et de processus intervenus au cours de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. 2-4
Le Professeur Abi-Dargham a expliqué que des modifications des circuits inhibiteurs corticaux survenues durant l'adolescence sont impliquées dans la transition vers la schizophrénie. Dans un premier temps, la stimulation des récepteurs D1 prédomine, tandis que la stimulation des récepteurs D2 gagne en importance à l’âge adulte.
Des études d’imagerie ont permis aux chercheurs de mesurer le nombre et la densité des récepteurs D2 (pré et post) synaptiques et leur degré d’occupation, ainsi que l’impact de la schizophrénie sur la recapture, la synthèse et le stockage de la dopamine. La disponibilité de ligands radiomarqués ayant différentes affinités de liaison avec des récepteurs de la dopamine permet de comparer l’activité dopaminergique dans différentes régions du cerveau.
Dans la schizophrénie, si l’on observe une libération excessive de dopamine dans le striatum, il ressort des études d’imagerie que, spécifiquement, la psychose pourrait être liée à des modifications dans la zone rostrale du noyau caudé, et à la stimulation des récepteurs de la dopamine dans cette région du cerveau. Un taux excessif de dopamine semble affecter la plasticité cérébrale au sein du striatum, affaiblissant la connectivité de la portion rostrale du noyau caudé avec le reste du cerveau.
Le professeur Abi-Dargham a indiqué qu’il semblerait qu’une activité dopaminergique insuffisante dans le striatum ventral soit liée aux symptômes négatifs de la schizophrénie, tandis qu’une activité excessive pourrait conduire à une psychose. La dopamine exercerait une moindre influence sur le striatum sensorimoteur.
Les études d’imagerie suggèrent également que certains patients peuvent ne pas présenter les élévations du taux de dopamine classiquement associées au trouble. Ils pourraient ainsi ne pas répondre aussi bien que d’autres patients aux traitements antipsychotiques qui ciblent et se proposent de bloquer les effets dopaminergiques. De même, il se peut que certains patients tels ceux présentant une toxicomanie co-morbide présentent un fonctionnement altéré des récepteurs D2, face à une libération réduite de dopamine. 5,6
Le Professeur Abi-Dargham a décrit des études examinant les corrélats neuraux de l’altération de la mémoire de travail dans la schizophrénie et leur relation avec le fonctionnement dopaminergique. 7-9
Une recherche menée par son propre groupe au moyen de la technique TEP-IRMf suggère la présence de déficits touchant la libération de la dopamine au sein du cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL), lesquels pourraient s’inscrire dans un déficit dopaminergique de grande ampleur affectant de multiples régions corticales et extrastriatales, dont le mésencéphale. 10,11
Selon le Professeur Abi-Dargham, des études de neuro-imagerie pré-cliniques et cliniques contribuent actuellement à élargir les vues relatives au dysfonctionnement dopaminergique dans la schizophrénie. 12 Le striatum semble être la seule région du cerveau présentant une libération excessive de dopamine chez les personnes souffrant de schizophrénie. Sans que l’on sache pour autant si cela est dû à un petit sous-ensemble de cellules présentant des décharges anormales, ou bien à des modifications de la régulation locale de la fonction dopaminergique. Le professeur Abi-Dargham a déclaré que certaines données allaient dans le sens de déficits extrastriataux, pointant comme un fait intriguant les déficits dopaminergiques observés dans le mésencéphale.
Les domaines de recherche qu’il est temps d’approfondir par le biais de la neuro-imagerie, selon le Professeur Abi-Dargham, comprennent l’étude de l’évolution du dysfonctionnement dopaminergique dans la schizophrénie afin d’établir quelles modifications sont à l’œuvre précocement en conséquence d’une prédisposition génétique ; l’étude de la plasticité dopaminergique et notamment des modifications du renouvellement de la dopamine et de l’expression et l’activité des récepteurs ; ainsi qu’une recherche plus approfondie sur les effets d’autres systèmes de neurotransmetteurs sur la fonction dopaminergique. Elle a ajouté que la recherche sur les cellules souches pourrait ouvrir de nouvelles voies à l’exploration des mécanismes cellulaires et des modifications de la connectivité qui déterminent le fonctionnement et l’évolution de la schizophrénie. Le Professeur Abi-Dargham a déclaré que le développement de ces nouvelles connaissances permettra d’alimenter et d’améliorer les approches thérapeutiques mises en œuvre dans la schizophrénie.